Annie Czarnecki

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Exposition ART SUD-MOMENT ET ENJEUX

 

ANNIE CZARNECKI : JETER LE REGARD

 

-Est-ce un tableau ?

 -Oui, répond l'un. C'est signé !

 -Mais encore, insiste l'autre, qu'est-ce que c'est?

 -Une paillasse, jette méchamment celui qui se sent perdu.

 -Du parchemin, des écorces d'arbre, avancent aussi certains. "Le leurre joue donc ici une fonction essentielle".

Le pagne (étymologiquement) est un pan. Le grand Dieu est proche ici dont on ne préfère pas savoir quelle nudité qui se profile pourtant derrière l'écran, derrière le mur.

 

 Alors que vous dire, Annie Czamecki, de vos rouleaux?

 Un tableau. C'est vrai: ça me regarde -dans toutes les acceptions; surtout: ça me concerne.

Une peinture. C'est sûr: on peut suivre le mouvement que trace la couleur, son application, la noyade du regard...

 Une toile. C'est certain: le papier s'y prête, s'enroule; ou plutôt se déroule: c'est une histoire.

 

 Cette histoire se défile, c'est une bande qu'on imagine sans fin, même si elle s'arrête. La dialectique du tableau s'y donne matière à merveille: depuis l'histoire sans fin jusqu'à sa limite qui sectionne la bande. C'est alors le nébuleux d'où l'on s'apprête à voir le sexe émerger; c'est en quoi cette dialectique est irritante: on sait qu'elle prend son lecteur à rebrousse-poil.

 

Va-t-on néanmoins soulever les lamelles de ce store pour savoir ce qu'il voile? En cela domine l'objet produit: c'est de l'art. Justement ça pourrait n'en être pas, trop harmonieux avec le fond (d'un pan de vie).

 

Et la rencontre n'opère pas tant ici avec un Sigmund Freud mythique qu'avec un "Siegfried": à vaincre, y a-t-il une satisfaction? Peu probable, car il n'ya pas à vaincre, ni à convaincre. Siegfried y gagne sa chitine, ses écailles sauf l'espace d'une feuille.

 

Reste l'essentiel: la découpe. Elle est vive et montre sa déchirure, nue. L'entaille dans l'épaisseur de la feuille laisse subsister l'autre geste: Annie Czamecki modèle sa peinture et stratifié sa découpe, réorganisant épaisseurs et recouvrement, traces du déchiré et soulignement de bords nouveaux.

 

 Le tableau est devenu non l'objet de la mise en scène neuve, mais proprement le sujet de la représentation où accroche le regard dans l'errance de l'imaginaire. L'absence d'être du tableau impose, au lecteur de l'œuvre, une nouvelle découpe.

 

 L'indéfini du renvoi du regard, d'une lamelle à l'autre, se joue du voilage du regard: le trou de la perception est ici réorganisé dans le renvoi, consécutif, séquent, d'un recouvrement à l'autre.

 

 Comme lecteur de cette composition, je suis "réfléchi", renvoyé sans spéculante d'un étage à l'autre.

 

 Le "quelque chose qui tient lieu de la représentation" est ici présent -pas uniquement dans la découpe dont on possède la trace du souvenir, mais dans ce déséquilibre pondéré -limite- entre l'épaisseur non peinte et la surface de la feuille, chacune rendue visible en leur opposition.

 

Annie Czamecki dévoile le voile et rappelle l'illusion de l'objet, dans le champ du réel dont le sujet lecteur se sustente -ici, donc, sans refoulement. La succession des instants du voir nous met au fait de l'Autre-temporalité de l'inconscient - qui n'est pas à comprendre mais produit le signifiant de l'acte vers quoi Je m'évertue pour traverser, fasciné, les apparences.

 

                                René Lew, mars 1989

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Huile sur papier (~ 85 x 65 cm)

 

 

 

 

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Huile sur papier (~ 15 x 25 cm)

   

 

Exposition LES ARCENAULX

 

 

 

Huile sur papier (~ 50 x 65 cm)

 

 

 

Huile sur papier (~ 85 x 65 cm)

 

Huile sur papier (~ 50 x 65 cm)

 

GESTES DE TRAVAIL

 

Découpages :

 

Chaque feuille de papier peinte est découpée en bandes égales dans le sens de la longueur ou de la largeur. Le travail exécuté sur le papier-origine, qui se présentait, avec science, sous les auspices de la synthèse du <c fini », de la «= belle totalité », est abîmé, détérioré voire détruit par les découpages faits à la main : lambeaux, résidus l&issant apparaître les traces des déchirures : traînées blanches et irrégulières arrachées à la bande contiguë.

 

L'annulation du papier-origine est, ainsi, doublement affirmée : à la clôture géométrique du format — une forme simple : le rectangle — qui permet le système : isoler, séparer, préserver sont substitués et le découpage en bandes irrégulières qui en rend la visualisation a priori, à proprement parler : impensable, et la représentation hasardée, in maîtrisée par le geste déchirant, des traînées blanches, déjà blanchâtres, bientôt jaunissantes. Sous les doigts découpant le papier peint glisse, dérape, s'échappe, obligeant la reprise, la dextérité vaine du geste : la consistance, l'épaisseur alourdie sans homogénéité par les couches de peinture, s'affirme. La profondeur, le matériau de ce qui se donne pour pure géométrie : une surface, une pellicule sans consistance, s'intègre aux insistances — excès, foisonnements — du travail pictural proprement dit. La consistance et du papier et de la matière-couleur sont affirmées, imprimant leur réalité pesante, leurs exigences physiques, chimiques aux gestes dominateurs. Le papier peint conduit le doigt, hasardant, improvisant, objecta lisant ses déchirures, ses traînées qui en authentifient la façon  à la totalité picturale organisée, composée, structurée, bref pensée puis réalisée du papier-origine avec ses jeux de reprises, arrangements, retouches est substitué un échantillonnage de bandes, partie! et incomplet, qui ne peut prétendre représenter, signifier ou traduire le lieu d'origine. Le travail de coupe, jouant de la consistance du matériau, vient noyer, broyer en se superposant le travail d'agencement des insistances. Existences des deux travaux : consistance du matériau, insistance du pictural fondant deux espaces superposés se brouillant et interférant, co-présents et pourtant fermés l'un à l'autre, indépendants.

 

Jeux d'inconnu, d'impondérable, d'incertain, d'aléatoire, d'accidentel, de déconcertant, d'indistinct, d'indéterminé...

  Montage :

 

Les bandes obtenues — provenances de plusieurs papiers-origines — accumulées au hasard, ici et là, dans l'atelier, sont mélangées.

Reprises, récupérées, elles sont montées sur un support léger et souple : papier kraft. Superposées, à espacements variables sous la pression, le <c senti » du doigt, enfin, elles sont collées sur un seul bord ; papier retenu, l'autre bord, visible, forme avec la bande qu'il recouvre, coupe partiellement — superposition mal jointe, laissée libre sans encollage — une fissure jamais comblée, parfois étendue à la faille voire à la béance sous l'effet du « travail » déformant, gondolant, froissant du papier ou du doigt curieux qui soulève en s'y aventurant. I

 

Chaque bande est ainsi réutilisée, réinvestie dans un ensemble —pratiquement, et là est l'intérêt, un pseudo-ensemble—qui s'affirme comme surface-épaisseur hétérogène. Le format reconstruit : figure géométrique simple : un rectangle, loin d'occulter son procès de construction, d'agencement, présente et intègre — en cela il se donne pour « un ensemble », mais un ensemble illusoire et affirmé comme tel II se donne pour ce qu'il n'est pas et le montre. Il ne  fait pas ce qu'il dit — les raccords, les collages, les superpositions, les déplacements, les débordements. Le format reconstitué s'affirme précisément comme reconstitution, remembrement, recollement de lambeaux épars.

Le projet, que ces gestes de travail façonnent, apparaît clairement, sans fard : affirmer l'opposé, le contradictoire, le détérioré, l'annulé ,l'appropriation successive, fonder le travail-du-geste comme production

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Par là se marque la profonde proximité de ce projet avec les autres travaux d'Annie CZARNECKI ; les toiles, ici présentées dans la seconde salle. Nous les avons, à d'autres occasions, suffisamment décrites pour qu'il soit utile d'y revenir. Aussi, insister sur les papiers-déchirure de la première salle c'est affirmer, avec véhémence s'il le faut, et leur profonde originalité et la profonde logique de pensée et de réalisation qui les lie aux travaux sur toile. En effet, à la différence des peintures-toiles, les gestes y étant, ici, pris au pied de la lettre ; le support : le papier par sa consistance, étant intégré au jeu même des insistances picturales que les toiles, parfois avec une rare beauté, présentaient seules. Ce double ensemble de geste insistance : inscription picturale-consistance : support, inaugurant une réflexion-travail dont les premiers maillons, remarquablement signifiants voire didactiques, sont ici présentés.

 

Pratiquement laisser jouer les papiers-déchirure : Jeu à prendre au pied de la lettre : « Les espaces... jouent au sens où l'on dit que les pièces d'un mécanisme, que les éléments d'un système, que les parties d'une totalité jouent, qu'ils ne sont pas parfaitement ajustés, qu'il y a de l'espace vide entre ces espaces pleins ou qu'aussi bien en certains points, le mécanisme « se coince par excès ». Il s'agira alors s ... de restituer au texte... son jeu, de le laisser jouer, et pour cela de déplacer le jeu du quasi système, de ses non conséquences, de ses incohérences et de ses excès, de ses manques et de ses trop pleins, vers la simple fantaisie, vers la lucidité du texte, de tirer de ce jeu, sans intention ni intérêt spéculatif ou pratique, tous les bénéfices du plaisir qu'il offre, pour se demander ultérieurement de quoi ce plaisir est la manifestation instantanée. » (1)

 

Le plaisir — je dis plaisir et non jouissance — et le travail — je dis travail au sens de production. De quoi faire frémir plus d'une narine en ces temps de désublimation répressive...

Hervé CASTANET. (1) Citations de L Marin. « Les corps utopiques rabelaisiens».

In Revue «.Littérature »-n° 21 - 1976. Larousse-Pages 35 et 36.

 
 

 

 

Huile sur papier (3 x ~ 145 x 75 cm)